Droit à la déconnexion : vœu pieux ou vraie solution ?

Le droit à la déconnexion est sans doute l’une des rares mesures de la loi El Khomri qui ne suscite pas trop de polémiques. Le projet de loi aborde le droit à la déconnexion, mais de quoi s’agit-il exactement ?

Contrairement à ce que pointait par exemple le Guardian récemment, il ne s’agit pas d’imposer une cure sans smartphone ou ordinateur, ni même d’ailleurs de juger ceux qui passeraient leur week-end sur les réseaux sociaux, les infos ou les boutiques en ligne. Il ne s’agit pas non plus de vacances digital detox. Nous parlons bien ici de droit du travail et, en l’occurrence, de déconnexion au travail.

Mais qu’est ce que le droit à la déconnexion ? Il s’agit de la possibilité de couper des outils incitant à travailler en dehors des heures de bureau, notamment les mails. Ce volet du projet de loi travail fait suite au rapport de Bruno Mettling, alors directeur adjoint d’Orange, en charge des ressources humaines.

Une problématique issue des nouvelles technologies

L’intérêt du législateur pour cet aspect de la vie en entreprise est justifié par le caractère disruptif des nouvelles technologies, dont la vitesse d’adoption par les utilisateurs augmente fortement. En d’autres termes, les nouvelles technologies modifient en profondeur la société et elles le font de plus en plus rapidement.

De quoi parle-t-on ? De la possibilité de solliciter un collaborateur à n’importe quelle heure et n’importe quel jour, et donc d’assigner des tâches à effectuer en dehors des heures de travail : mail, messagerie, applications, etc. Il s’agit du mail professionnel que vous lisez dans le métro avant d’arriver au bureau, de l’appel d’un client que vous recevez le dimanche en famille, du rappel qui se déclenche la veille au soir d’une réunion capitale…

Le corollaire implicite est l’attente que la tâche demandée soit effectuée elle aussi à n’importe quelle heure et n’importe quel jour. Il s’agit par exemple d’un  rapport à transmettre ou un dossier à boucler. Si ces mails arrivent directement sur l’outil que le salarié possède en permanence avec lui, comme son smartphone, on remet effectivement en question la notion d’horaires et de jour de repos. De ce fait, on menace l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Un phénomène croissant

Le droit à la déconnexion vise le mail envoyé à 22 heures 30, mais aussi les outils permettant de travailler hors salariat et donc, entre autres, Uber – bien que la compagnie ne soit pas citée par le rapport.

Quelques chiffres:

  •  90 % des cadres disposent d’un micro-ordinateur sur leur lieu de travail qu’ils peuvent emporter avec eux le soir et le week-end. Le nombre de smartphones a lui été multiplié par six depuis 2008.
  • Une enquête de l’Apec Credoc publiée fin 2014 révélait ainsi qu’un tiers des cadres se déconnectait rarement, voire jamais. 63 % d’entre eux affirmait que cela perturbait leur vie privée et 60 % que cela affectait négativement leur qualité de vie.
  • 23 % seulement des cadres se déconnectent systématiquement en dehors de leur temps de travail (un tiers le fait rarement) selon une étude Apec (décembre 2014) ; 89 % des cadres estiment que les outils connectés contribuent à les faire travailler hors de l’entreprise.

En savoir plus :

Vers un « droit à la déconnexion » au travail sur Le Monde.

Le droit à la déconnexion est-il possible? sur L’Express Entreprises.

Les mesures prévues par la loi

Le projet de loi Travail introduit un « droit à la déconnexion » qui s’appliquera à tous les salariés. Les entreprises auront le devoir de mettre en place des instruments de régulation de l’outil numérique. Ces mesures viseront à assurer le respect des temps de repos et de congés ainsi que l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale.

Pour mettre en œuvre ces mesures, la priorité sera donnée à la négociation avec les partenaires sociaux. Les entreprises qui disposent d’un délégué syndical devront engager une négociation afin de définir les modalités selon lesquelles le salarié pourra exercer son droit à la déconnexion.

A défaut d’accord dans les entreprises de plus de 50 salariés, l’employeur devra mettre en œuvre une charte qui prévoira la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à l’usage des outils numériques. La mise en œuvre de cette mesure prendra effet au 1er janvier 2017.

Quelle efficacité peut-on en attendre ?

Se posent deux questions : l’applicabilité des mesures d’encadrement et leur efficacité. On peut toujours formuler des vœux pieux, mais une charte demandant de faire attention à ne pas trop envoyer de requêtes, et ne pas trop le faire en dehors des heures de travail, risque de rester sans effet.

La première solution : les limites pratiques

Pour l’applicabilité, outre la charte, certaines entreprises et institutions introduisent des limitations dans les outils eux-mêmes. Ainsi, un serveur d’envoi de mails peut être automatiquement verrouillé chaque vendredi après 18 heures 30 : les mails envoyés après cet horaire le vendredi ne seront reçus que le lundi matin à 9 heures.

Une autre option intéressante est l’insertion d’une disposition dans le règlement intérieur, précisant qu’un salarié ne peut pas être tenu pour responsable s’il n’a pas traité une demande qui lui a été envoyée.

La deuxième solution : l’évolution des comportements

Dans certaines entreprises, le nombre de mails reçus par jour dépasse la centaine. Nécessairement, la tentation est grande de reporter en partie leur traitement à plus tard. Certains cadres traitent ainsi une partie de leurs mails tous les dimanches soir, de manière à alléger leur semaine à venir.

Dans ce domaine, une sensibilisation aux bonnes pratiques peut être utile :

  • Cesser les envois de mails « à tous » ;
  • Ne pas répondre aux mails qui manifestement ne vous concernent pas ;
  • Encore mieux, indiquer gentiment à la personne qui vous a mis en copie auprès d’un interlocuteur (un client par exemple) qui risque de vous solliciter alors que la question n’est pas de votre responsabilité, que vous ne devez pas apparaître en copie pour ce genre de chose ;
  • Respecter les horaires de vos collègues ;
  • Hiérarchiser les priorités : si c’est vendredi (ou samedi) et qu’une tâche peut attendre lundi matin, autant qu’elle attende. Donc, autant que vous traitiez ce qui est urgent pendant la semaine et que vous ne sollicitiez pas vos petits camarades le week-end ;
  • Déconnecter certaines fonctionnalités de votre smartphone et éteignez votre ordinateur professionnel le week-end.

Quoi qu’il soit, vœu pieux ou vraie solution, ce projet de loi a le mérite de soulever le débat au sein des entreprises. Et la première solution, vous l’avez entre les mains : n’ouvrez pas votre laptop professionnel et posez ce téléphone deux minutes, si on vous appelle, il sonnera… 🙂

Et vous, des problèmes de déconnexion ?